La ressemblance
« Isaac, le fils d’Avraham ; Avraham engendra Isaac » Pléonasme ?
Adapté des enseignements du Rabbi de Loubavitch par Yanki Tauber
Il y a bien longtemps vivait un homme qui était l'incarnation de l’amour. Il aimait D.ieu et toutes Ses créatures. Sa maison était ouverte à tous les voyageurs, son cœur à tous les nécessiteux. C’est de cet homme dont l’attribut divin d’amour dit : “tant qu’il était là, je n’avais rien à faire, car il faisait mon travail à ma place.”1
Cet homme avait deux fils. L’aîné était affectueux, sensuel et extraverti. Le second fils, cependant, était plus introverti : un homme silencieux et réservé, doué d’une auto discipline qui tendait vers la rigidité. La différence entre eux s’accentua quand ils se marièrent et eurent des enfants : le fils aîné engendra un clan célèbre pour sa nature passionnée et son hospitalité démonstrative, alors que le second fils eut lui-même un fils qui prit de lui une sévérité poussée à l’extrême, devenant un guerrier sans cœur et un meurtrier de sang-froid. Le fils aîné est le fils de son père, disait-on. Le deuxième fils semblait avoir acquis sa nature ailleurs.
On n’avait pas su distinguer entre la similitude et la ressemblance.
Les cyniques de l’époque
La Parachah Toledot (Genèse 23-26) qui relate la vie et la progéniture d’Isaac commence par ces mots : « voici la descendance d’Isaac, le fils d’Avraham ; Avraham engendra Isaac ».
Mais Isaac ayant été identifié comme le fils d’Avraham, pourquoi le verset répète-t-il qu’Avraham engendra Isaac ? Rachi2 explique :
Les cyniques de la génération disaient que Sarah était devenue enceinte d’Avimélèkh puisqu’elle n’avait pu réussir à concevoir pendant toutes ces années passées avec Avraham. Que fit D.ieu ? Il fit en sorte qu’Isaac ressemble à Avraham, afin que tous puissent attester qu’Avraham avait engendré Isaac. C’est là le sens du verset : Isaac (est certainement) le fils d’Avraham (puisqu’il y a la preuve que) Avraham a engendré Isaac.
L’explication de Rachi présente plusieurs points étonnants :
a) La Torah établit clairement qu’Avimélèkh ne toucha pas Sarah. Pourquoi devrions-nous être concernés par ce que les cyniques de cette époque pouvaient dire ?b) Par ailleurs, si la Torah, pour quelque raison que ce soit, trouve nécessaire de faire allusion à cette preuve, n’aurait-elle pas dû le faire lors du récit de la naissance d’Isaac ? Pourquoi attendre le récit de son mariage et la naissance de ses enfants, plusieurs décennies plus tard ?c) Cela présuppose que la ressemblance entre Avraham et Isaac est un événement extraordinaire orchestré par D.ieu pour attester de la paternité d’Isaac (Que fit D.ieu ? Il forma l’apparence d’Isaac...) Mais n’est-il pas tout à fait naturel qu’un fils ressemble à son père ?
Les trois éléments patriarcaux
Nous Sages nous disent que les trois Pères de la nation juive, Avraham, Isaac et Jacob incarnent les trois attribut de ‘Hessed (amour, bienveillance),Guevourah (sévérité, rigueur) et Tiférèt (harmonie et vérité). Le ‘Hessedd’Avraham était illustré par son amour prodigieux pour D.ieu, son activisme en faveur des condamnés et son effort d'éclairer ses prochains tout au long de sa vie. La Guevourah d’Isaac s’exprimait dans sa grande crainte de D.ieu, et sa parfaite autodiscipline. L’attribut de Jacob, Tiférèt, était son aptitude à l’harmonie et à la vérité : sa capacité à intégrer les différentes qualités de son âme en un tout harmonieux. Dans Jacob, les aspirations au ‘Hessed et à laGuevourah se réunissaient dans un caractère qui embrassait tout et supportait tout ; un caractère empreint de la cohérence et de la détermination qui caractérisent la vérité. C’est pourquoi Jacob put persévérer et prospérer dans la grande diversité de conditions qu’il devait rencontrer dans sa vie, incluant ses années en Terre Sainte sous la tutelle des grands érudits de son temps, son emploi au service du fourbe Lavan, sa confrontation avec Essav et son séjour dans l’Égypte dépravée.
De nos trois Patriarches, nous avons hérité ces trois composantes du caractère juif. D’Avraham nous tenons notre philanthropie légendaire et notre conscience sociale. A Isaac nous devons notre yirat chamayim (crainte de D.ieu) innée et notre retenue morale. Jacob imprègne nos âmes du don de la vérité : notre engagement à l’étude et la connaissance de la Torah, la force ultime qui harmonise les différentes tendances de l’âme et de la création et qui est le secret de notre persévérance à travers les convulsions de l’histoire.
Comme le démontre l’exemple de Jacob, ’Hessed et Guevourah ne s’excluent pas mutuellement. Bien au contraire, appliqués correctement, chacun de ces sentiments complète et renforce l’autre. En fait, un ‘Hessed qui ne serait pas restreint par la Guevourah et une Guevourah qui ne serait pas tempérée par le‘Hessed seraient contraire à leurs propres desseins.
Pour donner un exemple : un père qui serre son enfant dans ses bras constitue expressément un acte de ‘Hessed ; mais s’il venait à serrer son enfant avec une force proportionnelle à l’intensité de son amour, il l’écraserait fatalement – à D.ieu ne plaise. Ainsi, pour que son acte de ‘Hessed soit véritablement une marque d’amour, il lui faut le contrôler par la retenue de la Guevourah. La même chose s’applique à tout amour : il faut une base de respect mutuel, de pudeur et de retenue dans les relations, faute de quoi l'amour risque de se désintégrer en un pseudo-amour intéressé et aliénant qui est tout sauf le rapprochement des individus.
Par le même biais, l’application de la justice est un comportement classique deGuevourah, dont le but est d’établir une société civilisée. Mais un code légal et pénal qui n’est pas temporisé par de la compassion écrasera la société qu’il entend préserver. Ou bien, pour citer encore un exemple de Guevourah, la soumission à l’autorité est cruciale dans le fonctionnement de n’importe quelle institution collective, que ce soit une armée, une usine ou une classe ; mais un soldat, un ouvrier ou un étudiant seraient intimidés au point d’en devenir incompétents si leurs supérieurs n’entretenaient pas avec eux une certaine relation d’affinité et de compassion.
C’est la raison pour laquelle l’harmonie et la vérité sont les deux facettes deTiférèt. Un amour sans réserve n’est pas supérieur à un amour retenu, pas plus qu’une justice sans concession ne l’est par rapport à une justice mitigée de compassion. Bien au contraire quelque chose est plus vrai et durable quand ses contraires sont dépassés et unis pour valider ses propres principes et desseins.
Écrit sur le visage
C’est là que réside le sens profond de la spéculation des cyniques de cette génération quant à la paternité d’Isaac.
Ichmaël, le fils d’Avraham enfanté par la servante égyptienne de Sarah, Hagar, leur paraissait être le véritable fils d’Avraham : gai, extraverti et généreux, il était apparemment fait du même moule qu’Avraham ; en fait, il possédait encore plus de passion que son père. Par contre, l’introverti et stoïque Isaac semblait difficilement être le fils de son père.
Et puis Isaac se maria et engendra des fils jumeaux. Le plus jeune, Jacob, était un homme doux, studieux, en qui l’on pouvait discerner à la fois la réserve de son père et la bonté de son grand-père. Mais Essav, l’aîné, était un produit absolu de la sévérité de son père, tout comme Ichmaël avait hérité et poussé à leur extrême les passions de son père. La disparité entre père et fils semblait dès lors encore plus flagrante : le véritable héritier d’Avraham en ‘Hessed était Ichmaël alors que la Guevourah d’Isaac, plus tard amplifiée par Essav, représentait une nouvelle tendance anti-abrahamique, parmi ses descendants.
La vérité est tout autre. La débauche d’Ichmaël était une corruption et non une amplification de l’amour d’Avraham, tout comme la cruauté d’Essav était une perversion de l’introversion de son père. Le seul et véritable héritier d’Avraham était Isaac, car bien que ce dernier fût émotionnellement différent voire contraire à son père, ils étaient tous deux engagés à utiliser leurs caractères respectifs au service de leur Créateur et de leur mission ici-bas plutôt qu’à la satisfaction de leurs pulsions personnelles. En fait ce n’est que par Isaac qu’Avraham pouvait évoluer en Jacob, la synthèse parfaite de l’amour et de la crainte, de la dissémination et de la retenue, de la passion et de l’engagement.
Et c’est de cette vérité que D.ieu attesta quand Il fit le visage d’Isaac identique à celui d’Avraham. Ce fut un phénomène surnaturel, car la ressemblance d’Isaac à Avraham n’était pas extérieure – extérieurement ils étaient bien différents – mais elle dépassait leur caractère et leur tempérament, tenant à l’essence même de leur volonté et de leur âme. Néanmoins, D.ieu désirait que leurapparence reflète cette similitude quintessencielle et la Torah nous le relate pour en faire une leçon éternelle : en tant qu’enfants d’Avraham, Isaac et Jacob, nous avons, nous aussi, en nous la force d’unir nos caractères aussi différents soient-ils à leur but commun et intrinsèque et d'exprimer ce consensus quant à notre finalité sur le « visage » de notre vie, c'est-à-dire dans notre comportement le plus extérieur.
NOTES | |
1. | Sefer HaBahir, cité dans le Pardès, porte 22, ch. 4 |
2. | Rabbi Chlomo Yits'haki, 1040-1105, auteur des commentaires de la Torah les plus fondamentaux
Que D-ieu protège et guérisse miraculeusement tous nos soldats comme chacun des enfants d'Israël, partout dans le monde, Qu'il venge leur sang, et qu'Il ne nous prodigue à partir de maintenant que des douceurs palpables à l’œil nu.
En chaque génération vit un homme qui attend avec impatience de pouvoir libérer son peuple de l’exil.
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