Itinéraires
par Hana Weisberg
I.
Le Bébé :
Il n’y a pas si longtemps, je ne faisais qu’un avec toi. Lové au creux de tes membres, porté par tes os. Je respirai par ton souffle. Le sang qui courait dans tes veines affluait dans les miennes. Je bougeais à chacun de tes mouvements.
Nous étions inséparablement unis.
L’âme :
Avant ma descente dans ce monde, je ne faisais qu’un avec Toi, D-ieu, comme le fœtus dans le ventre maternel.
J’étais incluse dans Ta volonté, fondue dans Ta lumière.
Ma conscience de ma totale dépendance de Toi était tangible, absolue et éternellement présente.
L’âme était inséparable de Ton unité.
Le Peuple Juif :
Notre nation fut conçue par nos saints Patriarches et Matriarches qui ont raffiné leurs êtres jusqu’à ce que tous leurs désirs, leurs émotions et leurs actions reflètent Tes qualités.
Ils se sont purifiés de toute trace d’intérêt personnel ou d’arrière-pensée. Chacune de leurs actions fut Tienne, véhicules de l’expression de Ta volonté.1
Tel le fœtus dans le ventre de sa mère, telle l’âme fondue en Toi, leur relation avec Toi fut palpable, leur échange avec Toi sans retenue, leur conscience de leur absolue dépendance de Toi, permanente.
Notre nation fut fondée sur la prémisse que Toi et nous ne faisons qu’un, indivisiblement un.
II.
Le Bébé :
Puis est venu le temps de ma naissance.
Descendre encore et encore.
Physiquement, ce fut le voyage le plus douloureux de mon existence.
Je ne voulais pas être moi. Je ne voulais pas être indépendant. Je voulais rester enveloppé dans ta chaleur, dans le réconfort du battement de ton cœur.
Je te voulais, toi. Seulement toi.
Hélas, le choix ne m’appartenait pas. J’ai émergé dans une pièce froide, entouré d’étrangers.
Je me suis entendu crier si fort.
Mais tu fus prompte à me réconforter. Tu m’as enlacé de ta large étreinte. Tu m’as caressé. Tu as bercé mon si petit corps. Jour et nuit tu m’as choyé, répondant à chacun de mes besoins, à chacun de mes caprices.
Mes yeux de nouveau ne regardaient que toi. Je continuais à ressentir que j’étais une partie de toi.
Un jour, tu m’as tenu devant un miroir, mais je ne savais pas que l’image qu’il renvoyait était la mienne. Il n’existait pas de notion de moi. Tout était toi. Tu étais mon monde entier.
L’âme :
Je laisse derrière moi l’idylle spirituelle pour voyager vers un lieu d’effort et d’épreuve. Un lieu où les soucis matériels consument mes jours et mes nuits, sapant mon énergie, bouleversant mes priorités.
C’est une descente difficile. Le voyage le plus difficile de mon existence.
Mais dans les moments de proximité spirituelle, je ressens de nouveau Ta chaleur et Ta présence.
Même ici-bas, dans ce monde, il est des moments où je me sens connecté, enveloppé dans ta chaleur.
Je suis conscient que c’est Toi qui subviens à chacun de mes besoins. Je suis confiant en Ton étreinte.
À ces moments, je perds mon sentiment de solitude, sachant que tout est de Toi.
Qu’il n’existe que Toi.
Le Peuple Juif :
Au début du voyage de notre nation, nous pouvions sentir Ta présence nous envelopper. Nos vies étaient centrées sur notre devenir spirituel. Le saint Beth HaMikdache, Ta demeure sur la Terre, était au cœur de nos vies. Les services quotidiens du Temple faisaient la lumière de nos jours.
Les miracles abondaient. Tu nous as nourri. Tu nous as protégés ouvertement. Tu as pourvu à chacun de nos besoins et de nos caprices.
Bien que nous fussions désormais des êtres indépendants, nous pouvions toujours sentir Ta présence permanente dans nos vies.
III.
Le Bébé :
Et maintenant, pourquoi m’abandonnes-tu ? Je te regarde marcher vers la porte, ton manteau sur ton épaule. Tu m’envoies un baiser en me faisant au revoir.
Je rampe vers toi, essayant gauchement de me lever, agrippant ta jupe.
Si je savais dire des mots, je protesterais fermement.
Au lieu de ça, tout ce que je peux faire, c’est pleurnicher. Mes cordes vocales émettent un « Mam-an » guttural. Ma voix se fait plus haute, plus forte.
Non, ne pars pas, voudrais-je te dire. J’ai besoin de toi. J’ai besoin que tu me tiennes. Que tu me prennes dans tes bras. Que tu me rassures. Que tu joues encore avec moi, avec tout ton amour.
Qu’est-ce que tu dis ?
Tu vas revenir bientôt, dis-tu pour me rassurer.
Mais ne comprends-tu pas que je n’ai pas la notion du temps ? Que ces séparations me brisent le cœur ? Que je vis avec le présent et que chaque moment est pour moi mon éternité ?
Reste, voudrais-je pouvoir te convaincre. Prends-moi. Étreins-moi.
L’âme :
Les épreuves forment une si grande partie de mon voyage.
À ces moments-là, j’ai mal d’être séparée de Toi. Notre connexion est voilée. Je me sens si loin. Si seule.
Traversant une terre éloignée, navigant des eaux inconnues.
Je me sens abandonnée.
J’essaie de crier vers Toi, mais j’ai oublié mon propre langage. Seuls les sons les plus frustes émanent des profondeurs de mon être.
Je me trouve dans un monde froid, qui me perturbe, qui altère mes vraies aspirations, qui obscurcit la vérité de Ta réalité.
Je tente vaillamment de me reconnecter à la source de ma vie.
Le Peuple Juif :
Notre nation a connu des périodes de séparation de Toi. Des temps où Tu semblais nous avoir abandonnés. Ton étreinte n’était plus du tout perceptible. Ta présence était cachée.
Nous avons été arrachés à notre patrie, chassés de tout ce qui nous était cher. Notre chemin était obscur. Nous nous sentions abandonnés. Tentant désespérément de nous accrocher à Toi, alors que nous étions déportés dans des terres lointaines.
Exil.
IV.
Le Bébé :
Je suis un petit peu plus grand maintenant. Je sais tenir assis et je peux me déplacer et commencer à explorer le monde qui m’entoure. Je me ressens comme un individu, avec mon propre corps, mes propres pensées et mes propres émotions. Je commence à m’exprimer.
J’acquiers plus d’indépendance. Tu es fière de chacun de mes progrès. Mais, en progressant, je ressens que je grandis comme un être différent de toi. Je ne te considère plus comme une partie de moi. Et quand tu t’en vas, j’ai si peur. Peur que tu m’abandonnes.
Que dis-tu ? Que mon angoisse de la séparation fait partie du processus de ma maturation ? Tu essaies d’expliquer à mon jeune esprit que cela signifie que je grandis. Que cette absence de compréhension va me permettre de développer mon indépendance émotionnelle et physique.
Tu expliques tout cela, mais tu me manques quand même quand tu n’es pas ici avec moi. J’apprécie mes nouvelles capacités, ma nouvelle conscience, mes nouveaux succès. Mais encore maintenant, quand tu ouvres la porte de la maison pour partir, mon anxiété s’accroît. Je ne veux toujours rien d’autre que toi.
L’âme :
Ma descente dans ce monde et mon sentiment d’indépendance conduisent en définitive à une croissance durable. Immergée dans un monde matériel, habillée dans un corps matériel, j’ai grandi en dehors de Toi.
Mais c’est maintenant que je ressens pour Toi une nostalgie et un amour incommensurables, un désir infini et dévorant d’être réabsorbée dans Ton Essence.
Au bout du compte, ce voyage vers une terre éloignée me permet d’atteindre des sommets encore plus élevés. Ce n’est que maintenant que mes pouvoirs intérieurs, mes forces cachées et mon amour si profond pour Toi se révèlent, par la force des choses.2
Le Peuple Juif :
La finalité de notre exil est l’élévation qui s’ensuivra à l’ère de la Rédemption, qui nous mènera encore plus haut qu’à l’époque du Beth HaMikdache.
L’obscurité et la solitude qui nous frappent en tant que nation sont annonciatrices d’une lumière encore plus intense à mesure que la force du lien qui nous unit à Toi se révèle.
En surface, nous avons l’air d’évoluer en dehors de Toi. En mûrissant en tant que nation, à travers nos efforts comme individus autonomes, à travers nos émotions personnelles et à travers nos pensées et nos capacités, nous mettons à l’œuvre la dimension la plus profonde de l’amour que nous avons pour Toi, qui était jusque-là confinée au tréfonds de nos cœurs.3
‘Hanna Weisberg est l’auteur de deux livres sur la vie des femmes de la Bible et sur l’âme féminine. Elle dirige le JRCC Institute of Torah Study à Toronto et donne des conférences dans le monde entier sur des sujets relatifs aux femmes, aux relations interpersonnelles et à la mystique.
Notes :
- « Les Patriarches (Avraham, Isaac et Jacob) sont eux-mêmes la Merkava (le « char » céleste) » (Torah Or Vayétsé, Maamar « Vayachkem Lavan baboker » ; Psikta Zoutrati ; Zohar.)
- Le mot hébraïque pour « épreuve », nissayone, signifie aussi « s’élever haut ». La descente de l’âme dans notre monde matériel n’a qu’un objet : que l’âme s’élève à un niveau spirituel supérieur. Pourquoi le potentiel de l’âme de « s’élever » n’apparaît-il pas dans le royaume céleste, avant la naissance ? Car il n’y a pas d’épreuve. Ce n’est qu’à travers sa descente dans ce monde matériel, où son amour pour D-ieu est menacé par toutes les tentations inhérentes à la vie corporelle, que l’âme peut atteindre ce degré supérieur. (Likoutei Torah, Ki Tetsé, Maamar « Ki tihyéna lé’ich chté nachim ».)
- Tanya, chap. 7 : quand une personne se sent déconnectée et très éloignée de D-ieu et s’efforce de rétablir le lien avec Lui, elle éprouvera des sentiments d’attachement et d’amour bien plus intenses que ceux qu’un Tsaddik peut avoir.
Que D-ieu protège et guérisse miraculeusement tous nos soldats comme chacun des enfants d'Israël, partout dans le monde, Qu'il venge leur sang, et qu'Il ne nous prodigue à partir de maintenant que des douceurs palpables à l’œil nu.
En chaque génération vit un homme qui attend avec impatience de pouvoir libérer son peuple de l’exil.
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