La soupe répandue
par Nissan Mindel
La soupe répandue
Quand le célèbre Rabbi Elimélekh de Lizensk et son frère Rabbi Zoussia n’étaient pas encore connus comme grands chefs de plusieurs milliers de ‘Hassidim, ils s’imposèrent une fois ce que nous appellerons un exil. Ils errèrent de place en place, inconnus de tous, se nourrissant grâce aux libéralités de quelques Juifs charitables.
Quel était le but de cet exil volontaire ? Il y avait à cela plusieurs raisons. Ces jeunes rabbins, destinés à devenir de grands chefs pour les masses juives, désiraient s’entraîner à la souffrance et à l’humilité pour s’interdire à jamais toute forme de vanité. Ils désiraient aussi constater de visu les malheurs et les souffrances de leurs frères, parmi lesquels certains dont la misère était grande et qui ne vivaient que grâce à la mendicité. Un autre but était qu’ils aspiraient au pardon pour tout péché qu’ils auraient pu avoir commis inconsciemment. Ces deux jeunes gens pressentaient la gravité de leur destinée future d’héritiers de la haute tâche transmise par le saint Baal Chem Tov au Maguid de Mézeritch et aux disciples de ce dernier.
Ainsi donc, une veille de Chabbat, les deux frères parvinrent à un petit bourg et attendirent que quelqu’un les invitât à passer le Chabbat chez lui. Dans toute la communauté, il n’y avait qu’un très petit nombre de Juifs ayant les moyens matériels d’inviter chez eux deux étrangers. Les autres arrivaient à grand-peine à nourrir leur nombreuse famille. Rabbi Elimélekh et son frère Rabbi Zoussia attendirent, fort embarrassés, dans la synagogue. Finalement, quand tout le monde fut parti, le rabbin, l’homme le plus pauvre de la communauté, les invita à l’accompagner chez lui.
On ne peut pas dire que la nourriture fût abondante dans sa maison et la rebbetsin (la femme du rabbin), qui ne s’attendait pas à cette double visite, était fort gênée. Cela la mit de méchante humeur et elle ne le cacha pas. Mauvaise humeur qui devint de la colère quand Rabbi Elimélekh, ayant tiré vers lui son assiette, au fond de laquelle il y avait une ou deux cuillerées de soupe où dominait surtout l’eau, l’inclina par inadvertance et en répandit le contenu sur la table.
« Vous êtes bien maladroit ! » grommela-t-elle, tandis que son mari faisait de son mieux pour la calmer.
Elle lui redonna un peu de soupe, cette fois encore plus aqueuse que la première. Mais par un phénomène étrange, alors que l’assiette était devant Rabbi Elimélekh, encore une fois elle fut renversée on ne sait comment, et se vida sur la table. La rebbetsin joignit les mains et les serra très fort, essayant en vain de se contenir. Son pieux mari intervint encore et eut bien du mal à apaiser sa colère.
« Je prive mes enfants de cette méchante soupe et ce mendiant, par sa gaucherie, en perd deux assiettes ! » se plaignit-elle, les yeux pleins de larmes.
Le pauvre rabbin n’eut rien de mieux à faire que de donner sa propre assiette de soupe à l’invité. Il se rendait compte de la grande confusion dans laquelle se trouvait ce dernier du fait de sa maladresse. Mais en le regardant, il remarqua, non sans surprise, que le jeune homme était si profondément absorbé par ses pensées qu’il semblait ne s’être même pas aperçu de ce qui venait de se passer.
Et, chose encore plus étrange que la deuxième fois, cela arriva à nouveau ! Rabbi Elimélekh tendait la main pour prendre sa cuiller... « Attention ! » cria la pauvre femme. Trop tard ! L’assiette se renversa et son contenu alla grossir la petite mare qui s’était formée sur la table et dont la nappe s’imbibait peu à peu. De la part de la rebbetsin, ce ne fut plus de la colère, mais de la rage !
La voix de Rabbi Zoussia se fit entendre, douce et ferme à la fois. « Ne vous mettez donc pas dans cet état, dit-il à la rebbetsin. Si l’assiette de soupe s’est renversée trois fois, ce n’est pas un simple accident. Quelque chose doit s’être produit dans les hautes sphères. Quelque part dans le monde, votre soupe répandue doit avoir sauvé beaucoup, beaucoup de biens précieux pour les Juifs. »
Comment ces paroles dites d’une voix calme agirent sur la femme ? On ne saurait le dire. Le fait est quelle pardonna sur-le-champ à son invité. Pourtant elle n’avait pas réellement compris.
Un terrible oukase
Quelques semaines plus tard, le bruit parvint jusqu’au petit bourg que ce vendredi-là, jour de cet étrange incident, le tzar Paul était sur le point de signer quelques oukases ordonnant l’expulsion des Juifs de leurs foyers s’ils ne payaient pas un très lourd impôt. Par trois fois, l’encrier s’était renversé au moment de la signature du document que le ministre présentait au tzar. Après la troisième fois, le souverain avait posé sa plume et dit : « Je regrette, Messieurs, je ne signerai pas cet oukase. Nul doute que des puissances supérieures sont opposées à ce que nous mettions à exécution notre plan. »
C’est alors seulement que le rabbin et sa femme comprirent que leurs deux jeunes convives du Chabbat n’étaient pas des mendiants ordinaires. Et le plaisir de la rebbetsin n’était pas le moindre en pensant que sa soupe qu’on avait répandue par trois fois avait quelque rapport secret avec l’encrier renversé lui aussi trois fois et dont la conséquence avait été d’épargner un si grand malheur à toutes les communautés juives du pays.
En chaque génération vit un homme qui attend avec impatience de pouvoir libérer son peuple de l’exil.
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